Défilé, fête du travail 1er mai
Défilé, fête du travail 1er mai

Pour les experts, qui ont suivi de près de la 130ème édition de la journée internationale du travail, le concept « Responsabilité sociale des entreprises » demeure une notion complexe et difficile à appliquer au Cameroun.

Alors que dans des pays avancés, les travailleurs se regroupent le 1er mai pour défendre leurs intérêts, au Cameroun, ils ne pensent qu’à faire la fête. Pourtant, le 1er mai devrait en principe être considéré comme ce jour où les travailleurs se réunissent pour parler de leurs problèmes, afin d’améliorer leurs conditions de travail et de les améliorer. Après le défilé du 1er mai dernier à Douala, les travailleurs, ont comme d’habitude, terminé leur soirée dans les bars et autres boite de nuit. Et, parfois, sous l’encadrement des entreprises et des syndicaux. Un acte qui contraste avec le thème de cette 130ème édition de la journée internationale du travail, qui était « Responsabilité sociale des entreprises et des syndicats pour le travail décent ». Pour les experts et travailleurs consciencieux, cette thématique fort pertinente aurait dû servir de prétexte pour mener une réflexion profonde sur les stratégies à mettre en place, pour améliorer les conditions de travail des Camerounais, via la Responsabilité sociale ou sociétale des entreprises (RSE).

En parlant de travail décent, l’Organisation international du travail (OIT) le définit comme étant « l’ensemble des aspirations des gens en ce qui concerne leur vie professionnelle ». Ces aspirations concernent les possibilités offertes à l’employé, le revenu conséquent, les droits et la reconnaissance de sa dignité, la stabilité familiale, le développement personnel, l’équité et l’égalité entre les sexes. De manière concrète, l’Agenda de l’OIT (1996-2016) identifie quatre objectifs stratégiques. Notamment, la création d’emplois décents et productifs, la promotion de l’accès aux systèmes de protection sociale, le respect des normes de travail fondamentales et le dialogue entre les partenaires sociaux.

Mais est-ce que tous ces objectifs sont respectés au Cameroun ?. Beaucoup de Camerounais rencontrés après la fête répondent par la négative. « Nos entreprises et syndicats ne sont pas à fond dans cet aspect là. Pourtant ailleurs c’est très respecté », relève Augustin Motué, travailleur avant d’ajouter. « Une activité professionnelle doit être menée dans un cadre interne approprié, confortable et sécurisé. Et, s’il s’agit d’une activité effectuée dans un cadre externe, il doit être convenable et convivial à travers un environnement sain, homogène et attirant. Mais ils sont les nombreux les Camerounais qui travaillent dans des conditions difficiles avec des salaires de catéchistes ».

Sur ce point, les experts en la matière ne disent pas le contraire. Et mettent également l’accent sur le fait que, « dans les pays africains, on a l’impression que les réglementations qui naissent des États et les politiques gouvernementales ne sont pas établies pour encourager la mise en œuvre de la RSE, mais plutôt à s'intéresser uniquement à la rentabilité des entreprises à cause sûrement du phénomène du sous-développement, de la misère et de la pauvreté ambiante », indique le professeur Romeo Tankoua. Pour Alex Mbog, étudiant à l’université de Douala, « certaines grandes entreprises à l’instar de MTN, Guinness, Orange etc. essayent de se conformer, mais qu’en est-il des autres entreprises qui emploient aussi autant de personnes que celles-ci ? ».

En rappel, c’est en effet au regard du non respect des différents normes et certifications que l’Association pour la Communication sur les Maladies Tropicales Ascomt, a mené depuis 2012 à trois reprises, un travail de classement des entreprises RSE. Dans cette enquête, elle révélait par ailleurs qu’en 2012, Orange a remporté la palme d’or, suivi de très près par MTN, la SABC, Hysacam, Aes-Sonel, PMUC, Guinness Cameroun, Camtel, Tradex et Sodecoton. En 2013, MTN et en 2014, MTN pour la deuxième fois devant Orange, SABC, Camrail, Eneo, Hysacam, Cimencam, Sodecoton, Camtel et Guiness.

Ghide

Dr Roméo Tankoua

« L’Etat doit faire pression sur les entreprises engagées dans une démarche RSE »

Le Docteur en Droit-Université de Strasbourg et professeur à l’Institut Universitaire du Golfe de Guinée revient sur la responsabilité sociale des entreprises.

 Le thème de cette 130ème édition de la fête internationale du travail est «  Responsabilité sociale des entreprises et  des syndicats pour le travail décent », pensez-vous que les entreprises et les syndicats respectent les valeurs de la responsabilité sociale?

Ce thème s’incruste de plus en plus dans l’environnement socio-économique ambiant à l’heure où la plupart des politiques africaines en général et camerounaises en particulier parlent de manière persistante de l’émergence, horizon 2035. A la vérité, le problème se pose de savoir la contribution organisationnelle et fonctionnelle de la RSE et des syndicats dans la perspective d’une amélioration optimale des conditions de travail et de vie familiale  des employés, considérés comme étant des principaux facteurs de production. Cela étant, il est donc nécessaire, à toute fin utile, d’assoir les concepts afin d’apprécier de manière objective l’intervention de ces agences parfois ignorées de régulation socio-économiques. Elle est une stratégie globale et partagée ancrée dans les territoires et qui concilie cinq grands objectifs : contribuer à l’équilibre social ; assurer sa responsabilité économique; préserver l’environnement ; développer les ressources humaines et assurer un mode de décision transparent et respectueux de ses partenaires. En sus, la terme "Syndicat" ne peut prêter à confusion puisque l’article 3 de la loi n° 92/007 du 14 août 1992 portant Code du travail au Cameroun précise clairement que les syndicats professionnels sont des organisations à but non lucratifs « ayant pour objet l'étude, la défense, le développement et la protection de leurs intérêts notamment économiques, industriels, commerciaux et agricoles, ainsi que le progrès social, économique, culturel et moral de leurs membres ». Il en est de même du terme "Entreprise" qui est une unité institutionnelle créée dans la perspective de produire et de fournir des biens et services à des personnes, physiques ou morales nonobstant le fait que dans la démarche RSE, cette notion prête à controverse puisqu’étant d’avantage une fiction juridique qui n’a pas toujours pour objectif la recherche effrénée du profit. On ne peut balayer du revers de la main que certaines entreprises et plusieurs syndicats camerounais ne font pas dans la démarche RSE même s’il semble se dessiner suivant les méthodes d’observation logique et d’approche longitudinale, que moult  récriminations peuvent leur être adressées dans leur immense majorité. En effet, beaucoup d’entreprises et de syndicats posent des actions non seulement citoyennes à travers des œuvres sociales telles la construction ou la réfection des écoles, l’adduction d’eau potable (Cas de MTN et d’Orange Cameroun), l’octroi des bourses scolaires, la facilitation à la propriété foncière (Cas d’Express Union).

Comment l’Etat camerounais veille-t-il au respect des dispositions de la RSE par les entreprises opérant sur son territoire ?

Sur la plan de l’ingénierie juridique, il s’agit pour l’Etat de mettre en branle des mécanismes d’encadrement juridique (textes nationaux, conventions internationales, accords internationaux et les politiques des bailleurs des projets) ; un encadrement institutionnel et un encadrement procédural (la plus utilisée étant les études d’impact environnemental et social, les audits environnementaux à l’instar des consultations publiques qui débouchent sur un plan de gestion environnemental et social et qui donne lieu à un certificat de conformité environnemental). Par ailleurs, le gouvernement doit mettre en application tous  les textes qui concourent à rendre les entreprises, les syndicats ou les investissements plus socialement responsables à l’instar de l’importante législation en matière environnementale de façon sectorielle dont la trame étant la loi n°96/12 du 05 août 1996 portant loi cadre relative à la gestion de l’environnement et le décret n°2005/0577/PM du 23 février 2005 fixant les modalités de réalisation des études d’impact environnemental etc. Dans la pratique courante, les exemples peuvent aussi être tirés des lois et des règlements en matière ce chasse, du traitement des eaux, des déchets (BOCOM, BOCAM, HYSACAM à Douala), les normes en matière de pollution lacustre, atmosphérique et des écosystèmes fragiles… Enfin, l’Etat doit faire pression sur les entreprises engagée dans une démarche RSE à se conformer à la législation fiscale, sociale et environnementale avant d’innover dans leur rapport avec les communautés locales, les clients, les sous-traitants et les salariés.

Que doivent en principe retenir les travailleurs, les chômeurs et les futurs travailleurs ou futurs chômeurs du thème de la fête de travail cette année ?

Primo : Ils doivent savoir que la RSE permet de mieux comprendre ce qui touche à sa mise en œuvre dans les pratiques de bonne gouvernance dans les entreprises.

Secundo : Les débats récents se sont davantage orientés sur la protection des droits des employés dans la perspective d’une réforme du marché du travail mais aussi en filigrane par la prise en considération du paradigme de « flexicurité » c’est-à-dire une nécessité sociale de faire que la réforme profite autant aux travailleurs qu’aux employeurs, offrant d’énormes possibilités de concilier le travail et la vie familiale en donnant également aux parties prenantes plus de contrôle sur leur vie professionnelle, et permettant surtout aux travailleurs d’acquérir de  nouvelles compétences et de s’adapter aux technologies.  Dans cette logique, il reste aux pouvoirs publics de prévoir des dispositions de protection sociale efficaces pour garantir les standards de vie des employés.

Tercio : Les étudiants et les chômeurs doivent changer leur façon de percevoir la courbe de gestion et de vie du pays sur le plan du droit social sinon, ils courent de gros risques de rester toujours à la traine, contrairement aux travailleurs et détenteurs du pouvoir politique qui seront probablement toujours à la pointe ; si l’on concédait à Charles Darwin sa théorie de l’évolution naturelle des espèces.

Quarto : Travailleurs, futurs travailleurs, chômeurs, futur chômeurs, doivent définitivement comprendre que l’Etat providence n’étant plus d’actualité, le secteur privé doit accompagner l’Etat dans la mouvance de ses grandes ambitions.

Propos recueillis par Ghide

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