Dans les boulangeries formelles, l'on dénonce la prolifération des clandestins
Dans les boulangeries formelles, l'on dénonce la prolifération des clandestins

Leur nombre ne cesse de croitre dans les artères de la capitale économique, aujourd’hui, bon nombres d’entre elles ont diversifié leur production et font concurrence aux géants du secteur.

Il est environ 5heures du matin, le vendredi 15 janvier 2015. Au lieu-dit « gare de Pk14 » à Douala, deux motos-cyclistes chargés de sacs remplis de baguettes de pains se préparent pour la livraison de leurs marchandises. Ils ont ravitaillés auprès d’une boulangerie non-conventionnelle. Cette dernière qui sert une clientèle tous les jours. Et, ceci, dès les premières heures de la matinée, sous la barbe de la Brigade de contrôle et de répression de la fraude de la délégation régionale du ministère du Commerce (Mincommerce) du Littoral. « Il gère cette boulangerie depuis plus de cinq dans ce quartier », confie discrètement Roméo D., un habitant du coin. A l’en croire, ladite boulangerie ravitaille une bonne partie de la population environnante, par le biais de livreurs qui, à bord des motos distribuent du pain auprès des boutiques des quartiers Pk 12, pk13, pk14… Chaque livreur possède au minimum 10 à 15 clients. Et, c’est environ 50 et 100 baguettes de pains que perçoivent chaque matin ces acquéreurs. « C’est un véritable business », explique Germain Kamdem, gérant d’une boutique. Entre pk12 et pk 15 à Douala, les vendeurs de pains sont visibles partout. Sur ce petit tronçon, on dénombre environ quatre à cinq boulangeries. Mais celle la plus connue du coin demeure la « boulangerie le bien est bien ».

Qualité

Des boulangeries clandestines on en retrouve partout dans la ville de Douala. Mais ce qui pourrait inquiéter tout observateur averti demeure la qualité du pain issu de ces « boulangeries ». Selon le Mincommerce, « elles fabriquent des pains qui ne répondent pas aux normes recommandées ». A quelques mètres du carrefour PK14 dans la capitale économique, et non loin du quartier Logpom, se trouve aussi une autre boulangerie non conventionnelle. Les pains qui sortent dans cette pâtisserie ne ressemblent aucunement à ceux fabriqués dans les boulangeries de renom installées au centre ville. Ils sont légers, épais, parfois ont une couleur blanchâtre. Toute chose laisse croire que la baguette contient du bromate, un produit nocif pour la santé. Malheureusement, la population locale consomme cette denrée sans même se préoccuper de la qualité. « C’est bon et on consomme », affirme Sophie, une consommatrice régulière de ce type de pain. « Tous les matins, j’achète trois baguettes de pain pour le petit déjeuné », ajoute-t-elle.

Une offre diversifiée

De nos jours, quelques unes de ces boulangeries ont même diversifié leurs offres. Hormis la fabrication de la baguette de pain de 125FCFA et de ceux de 50FCFA. Certaines ont même ajouté la production des gâteaux et du pain au lait à leur gamme. C’est le cas de la boulangerie « Johns entreprise », située au quartier Nyalla à Douala. Tous les jours, à partir de minuit, les pâtissiers du propriétaire des lieux, sont au four et au moulin pour confectionner des gâteaux. Beignets au sucre, gâteaux madeleine, tresses, gradations, pâtes éléphants, crèmes à mouler… Diverses variétés de pâtisseries se moulent à Johns Entreprise. Selon les employés de cette structure, en moyenne 2000 gâteaux sont écoulés chaque jour. Mais depuis peu. Les ventes ont chuté. Car la concurrence est devenue rude. « Nous ne vendons plus comme à l’époque où on écoulait plus de 5000 beignets ou gâteaux par jour, la concurrence se fait de plus en plus rude. L’activité prolifère et ils sont nombreux qui se sont lancées dans cette activité», Confie Susie E. la Co-patronne. A l’en croire, la cherté des matières premières, notamment le sucre et le lait est aussi pour quelque chose.

La boulangerie « Johns entreprises », fonctionne depuis plus de 10 ans dans l’informel. Pour la propriétaire des lieux, son activité lui permet de lutter contre le chômage. Selon Suzie E., les jeunes lui font de plus en plus confiance. A ce jour, son entreprise emploie plus de 120 personnes au quotidien. Son staff compte des pâtissiers, des vendeurs, des courtiers et des techniciens pour qui la vie a pris un envol grâce à la farine. Les vendeurs de cette pâtissière gagnent en moyenne pas moins de 5 000 FCFA à 7 000 FCFA par jour. Une somme dont peut s’en réjouit quelques uns d’entre eux qui trouvent cette activité « assez réjouissante ». « C’est une petite entreprise qui paie bien ses employés, nous n’avons pas de problème avec la patronne, de plus nos produits sont appréciés et vendus un peu partout dans les quartiers les plus éloignés du centre ville », fait savoir l’un des vendeurs.

Concurrence déloyale

Comme il fallait s’y attendre, la prolifération des boulangeries clandestines fait forcément ombrage à celles qui fonctionnent dans le secteur formel. Pour les responsables de grandes boulangeries telles que Saker ou encore Zépol, ces pâtisseries ont vraiment pris de l’ampleur et s’imposent réellement. « Elles nous font de l’ombre et pratique le marketing de proximité », indique un cadre de la boulangerie Saker. Selon Mme Tiatsilong, l’un des responsables de la boulangerie Saker à Akwa, l’activité de ces boulangeries non conventionnelles a une influence sur le chiffre d’affaires de l’entreprise. « Leurs clients estiment que nous sommes chers. De plus, ces boulangers sont directement en contact avec leur clientèle contrairement à nous. Dont, le déplacement est exigé », fait-elle savoir. En outre, elle relève également que certains de ces boulangers usent du nom des produits Saker pour écouler leurs marchandises.

Une pratique qui n’a pas échappé à la vigilance de certains clients avertis. « J’ai déjà remarqué que certains boutiquiers nous vendent du pain en nous faisant savoir qu’ils viennent de Saker ou de Zepol, mais je sais que c’est faux. Car leur pain est différent », indique Amel Toko, un habitant du quartier Akwa à Douala. Un constat que reconnaissent les responsables des boulangeries Saker. A l’origine de cette tricherie, les livreurs des boulangeries formelles sont ici pointés du doigt. « Ils mélangent nos pains avec ceux des clandestins pour les vendre. Il s’agit d’un acte qui salie notre réputation », affirme un responsable de Saker Deido, qui ajoute que les vendeurs se sont, par la même occasion, liés à cette pratique aux fins de tromper le consommateur sur la provenance du produit.

Pour la plupart des boulangers exerçant dans le formel. Le gouvernement devrait constamment s’intéresser à cette activité truffée d’escroquerie et de contrevenants du métier de la pâtisserie. Tout de même, il y a 9 ans, le délégué provincial du ministère des Petites et moyennes entreprises, de l'Economie sociale et de l'artisanat, Auguste Amougou avait procédé à la fermeture d’une trentaine de boulangeries. Et ceci, pour activités illégales et dangereuses. Cette opération d'assainissement de la filière des boulangeries avaient été engagée en 2006. A l’époque, une descente sur le terrain avait permis de découvrir qu’une demi-douzaine de ces établissements qui tiennent lieu de "boulangeries de quartier" avait été rouverte. Seulement, les scellés autrefois placés aux entrées principales de ces fabriques avaient été cette fois, apposés sur les appareils de production.

Se plaignant de l’impact de la prolifération des boulangeries clandestines sur leurs activités, à cause de la concurrence déloyale, les boulangers opérant dans le secteur informel revendiquent de nouvelles descentes comme celles de 2006 et 2008. « On a perdu trop de clients, alors que nous payons régulièrement nos impôts. Sans compter que nous avons des charges salariales et autres à supporter. On ne tient plus, le ministère du commerce doit intervenir », confie un cadre de la boulangerie Meno à Deido. De leur côté, les consommateurs craignent surtout pour leur santé. « Il y a trop d’anarchie dans cette activité. Et beaucoup de personnes fabriquent des pains dans des conditions piteuses et viennent nous les vendre. Et le plus grave dans tous cela c’est qu’on ne connait même souvent pas la provenance de ces produits », fulmine Alain Ngui, un Consommateur.

Ghide

Credit photo. Du pain issu des boulangeries clandestines, au poin de livraison

Credit photo. Du pain issu des boulangeries clandestines, au poin de livraison

Réglementation

Malgré la répression, les  normes sont toujours violées

Pourtant, les normes en matière de fabrication et de distribution du pain,  de qualité, du grammage existent bel et bien.

Malgré les multiples opérations de répression déployées  ces dernières années  sur l’étendue du territoire nationale par le ministère du Commerce, l’activité des boulangeries clandestines continue de s’épanouir dans les grandes villes du pays et notamment dans la capitale économique. En  2008, le Mincommerce  avait entrepris des missions à travers les dix régions du pays. Il y était  question de sensibiliser les boulangers qui continuent de produire et de distribuer  du pain, sans  prendre en compte des normes tel que l’exige la loi.  Car, l’on retrouvait alors sur le marché de l’offre et de la demande une variété de produits dérivés de la farine ne respectant pas  les normes de fabrication et de distribution du pain ; les normes de qualité, ainsi que ceux qui définissent la métrologie et les caractéristiques des produits pré emballés.

Près de 7 ans après cette période de sensibilisation, les veilles habitudes résistent toujours.  En effet, elles-ont, apprend-on, la peau dure. A la délégation régionale du Mincommerce pour le littoral, LQE a appris que nombres de ces boulangeries clandestines défis toujours  les textes ministériels sur les  normes. Mais, plus précisément au niveau de la métrologie (poids et mesure de la baguette de pain).  Pourtant,  il est indiqué que le pain de 50FCFA à un poids égale à 80 grammes. La norme accorde une tolérance située entre  73,6g et 56,4g pour ce type de pain. En ce qui concerne  le pain de 75FCFA, le poids est équivaut à 120g, la marge de tolérance ici est situé entre 110,4g et 129,6g.  Pour le pain de 100FCFA, le poids recommandé est de 160g et la marge de tolérance est située entre  147,2g et 172,8g. Pour la baguette de 125FCFA le poids est de 200g et la tolérance établit entre 186g et 216g.

Malgré les dispositions prises pour faire respecter ces normes, même les boulangeries dites conformes  ne les respectent pas toujours, apprend-on. Il y a quelques années, plusieurs descentes sur le terrain des agents du la délégation régionale du Commerce ont permis de découvrir que plusieurs boulangeries conformes, ne respectaient pas toujours la réglémentation. Pourtant, un protocole d’accord avait été signé entre le Mincommerce et le Syndicat patronal les boulangers du Cameroun(SPBC) en 2009. D’où il reprécisait les différents grammages du pain. Selon Bertrand Noutat, chef de section à la délégation régionale du Mincommerce, depuis 2012, une dizaine de boulangeries ont déjà été fermées depuis lors. Mais « Les fermetures sont souvent temporaires. Et après certaines essayent de se mettre à la page et continuent leur activité », affirme Bertrand Noutat.

Dans la capitale économique, plus d’une cinquantaine de boulangeries conformes sont enregistrées au niveau de cette administration, nous fait-on savoir. Et, toutes ces pâtisseries, disposent d’un certificat de conformité à la norme de pain ; y compris des instruments de mesure du pain, d’un certificat de vérification primitive et périodique. Ce certificat, apprend-on à une durée d’un an renouvelable. Hormis le certificat, les boulangeries disposent également d’une autorisation de mise en consommation. « C’est en effet les quelques documents que doivent disposés les boulangers pour exercer dans cette activité », renseignent les cadres du Mincommerce Douala.

Ghide

Delor Magellan Kamseu Kamgaing, Président national de la ligue des consommateurs

Delor Magellan Kamseu Kamgaing, Président national de la ligue des consommateurs

Delor Magellan Kamseu Kamgaing

« Les consommateurs doivent rejeter les boulangeries clandestines»

Le président national de la Ligue camerounaise des consommateurs (LCC), donne les raisons de la prolifération des boulangeries clandestines

Quelles peuvent être les raisons de la prolifération des boulangeries clandestines dans les villes du Cameroun ?

La prolifération des boulangeries clandestines est due à la forte demande en produits qui y sont moulés. Notamment des pains et des gâteaux qui sont généralement vendus à des prix plus abordables que ceux issus des boulangeries classiques. Car fabriqués dans la clandestinité, c'est à dire, dans des locaux bafouant les règles élémentaires d'hygiène, où la saleté y a élu domicile. Le circuit de production ne respecte pas les normes. Une substance dangereuse pour la santé est souvent utilisée pour accroître anormalement le volume de la pâte de farine pétrie. Astuce qui permet d'obtenir plus de produits de mauvaise qualité avec un faible investissement. N'ayant généralement pas de surface commerciale pour exposer leurs poisons, les boulangers clandestins ont développé un circuit de distribution bien huilé. Les motos taxis sont sollicitées pour la livraison chez les tenanciers des boutiques, même dans les quartiers les plus reculés.

Au regard du respect du grammage du pain, pensez vous que ces boulangeries respectent toutes les normes en matière de production de pain ?

Généralement enclins à l'appât du gain que la commercialisation des denrées respectant la norme, certains boutiquiers préfèrent les produits issus des boulangeries clandestines. Du fait de leurs prix relativement faibles et la livraison sur place. Contrairement aux pains et autres gâteaux des boulangeries classiques dont les prix sont homologués par le ministère du commerce et qui sont dépourvus d'un service de livraison. Les boulangers clandestins dans l'optique d'accroître leurs recettes poussent leur cynisme jusqu'à vendre le pain sur les étals à même le sol dans les grands carrefours et les marchés. Une vente à la sauvette d'une denrée aussi sensible, en violation de la règlementation en vigueur. À l'instar d'autres articles qu'il côtoie, on assiste à la vente à la criée. La baguette de pain est vendue à 100 F. Aucun des consommateurs agglutinés et brandissant chacun une pièce de 100 F ne s'interroge sur l'origine de ce poison. Car, ils sont plus préoccupés par la différence de 25 F, avec le prix de la baguette de pain issue des boulangeries classiques.

Que doit faire le gouvernement pour éradiquer le secteur ?

Les boulangeries qui ne respectent pas la norme doivent être fermées et leurs propriétaires traduits en justice. Les services spécialisés du ministère du Commerce et des municipalités, doivent redoubler d'ardeur pour juguler ce fléau. Mais en attendant, la Ligue camerounaise des consommateurs recommande aux consommateurs de tourner le dos aux boulangers clandestins, en achetant leur baguette de pain prioritairement au comptoir des boulangeries ou en se renseignant sur l'origine avant de les acheter dans des boutiques. Les autorités compétentes ont les statistiques sur le nombre de boulangeries en règle. Et, Elles se reconnaissent aisément.

Propos recueillis par Ghide

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